mardi 3 juin 2008

Campagne antichrétiene: stratégie, objectif et finalité (*)

Une fois n'est pas coutume, je commencerai cette chronique par une anecdote toute fraîche. De passage chez le coiffeur du coin ce matin, j'ai dû suivre, comme d'habitude, une interminable discussion sur le foot animée par des jeunes qui paraissaient baigner dans une insouciance qu'on ne peut leur reprocher. Après tout, la jeunesse n'est-elle pas l'âge de l'insouciance? Surprise, pourtant. Et plutôt bonne surprise: l'un des jeunôts, le crâne rasé comme un vrai skinhead, un journal à la main, change de sujet sans préavis ni transition. Usant d'un langage que je ne peux reproduire ici, il lâche:"(...) Tu ne comprends rien à ce pays, ils ont attrapé deux chrétiens et apparemment ils vont les faire trinquer, cela ne se passe nulle part ailleurs, même pas en Arabie Séoudite(...)" Eloquent! Il est vrai que cela ne vaut pas un sondage d'opinion, mais les mots de ce jeune Algérois auraient pu être ceux d'un autre, d'Oran, de Constantine, de Ghardaia ou d'ailleurs. Car ils expriment sans aucun doute, de manière triviale certes, l'avis le mieux partagé au sein la société algérienne quant à la guerre menée ces derniers mois, de façon de plus en plus ouverte, contre la minorité chrétienne en Algérie. C'est dire toute la largeur du fossé qui sépare les initiateurs de cette campagne contre une prétendue évangélisation en cours dans le pays de l'écrasante majorité de la population au demeurant musulmane. Celle-ci, sauf à la confondre avec les illuminés qui ont pris l'habitude de parler en son nom sans la consulter, n'adhère pas à cette chasse aux fidèles du Christ. Autrement dit, les attaques subies par la minorité chrétienne en Algérie sont le fait du pouvoir et de lui seul. La société, quant à elle, ne les tolère pas ou, tout au moins, ne les comprend pas. Mais il est vrai que l'absence de canaux d'expression à même de permettre à la société de dire son rejet de l'action du pouvoir fait la part belle à toutes les extravagances officielles. Il est en effet difficile de comprendre ou de soutenir la montée de cette nouvelle forme de xénophobie même si ses tenants ont pris le soin de la parer des couleurs de la religion et même s'ils ont, en même temps, pris la précaution formelle de la "légaliser" en agissant au nom d'une "loi civile" promulguée en 2006... pour les besoins de la cause. Une loi passée inaperçue mais qui aurait pu être un grand sujet de polémique tant elle contredit, selon des spécialistes du droit constitutionnel, l'esprit de la Loi fondamentale algérienne qui garantit la liberté de culte et qui, contrairement à ladite loi, ne distingue aucunement entre les religions. En l'absence de toute explication convaincante, certains peuvent penser que cette offensive antichrétienne est une réaction après les dérapages enregistrés en Occident et notamment aux Etats-unis d'Amérique, depuis les attentats du 11 septembre. Cela relève de la pure supercherie: les restrictions imposées aux Musulmans en Amérique ou dans certains pays d'Europe, même si elles sont souvent draconiennes et quelquefois inacceptables, voire humiliantes, ne concernent pas la pratique du culte. Elles ne limitent pas la liberté de prier ou de prêcher, ni même celle de construire des mosquées. Au demeurant, s'il s'agissait "seulement de répliquer" à ces restrictions, on ne peut expliquer que l'Algérie soit le seul et unique pays en terre d'Islam à mobiliser ainsi ses services de sécurité, ses tribunaux et, en définitive, ses intitutions dans ce qu'il convient d'appeler une campagne de persécussion contre les pratiquants de "cultes non musulmans", un concept que n'évoque aucune disposition de la Constitution du pays. La surveillance policière dont sont l'objet les Musulmans aux Etats-unis, aurait plutôt induit des ripostes de la part de factions chiites et djihadistes en Irak, un pays en guerre où les cibles chrétiennes ne manquent pas, plutôt qu'en Algérie. Mais non, notre pays prend tout le monde de vitesse. Jusqu'à faire rougir Ben Laden lui-même. Une certitude: un pouvoir qui engage les institutions du pays dans cette "guerre du Croissant contre la Croix" quitte à en assumer la paternité et les conséquences escompte forcément quelques dividendes politiques en retour. Lesquels? "Le Coran est la constitution de la société algérienne", a dit le chef du gouvernement il y a moins d'une semaine, quasiment au moment même où s'ouvrait le procès de Habiba K, une Algérienne accusée de "pratiquer un culte non musuman sans autorisation". Observée à la lumière d'une telle déclaration, mais aussi d'autres propos non moins éloquents de gens du pouvoir, la campagne "anti-évangélisation" en cours semble procéder d'une stratégie d'ensemble, mise en branle depuis quelques années déjà, mais plus visible à présent que le temps presse; une stratégie dont l'objectif est enfin avoué: la mise en oeuvre sournoise du projet islamiste. Un objectif censé, à son tour, servir d'escabeau pour atteindre une finalité: en finir avec les repères qui fondent la modernité et par conséquent, disqualifier les modes universels de maintien ou d'accès au pouvoir. En un mot, fouler aux pieds le statut républicain de l'Etat et lui substituer un archaisme bâti sur la primauté de la religion. Une version soft de l'Etat théocratique, en somme. Le pari parait fou, mais dans un pays comme le nôtre dont les ressorts de la résistance sont fragilisés et dont une grande partie de l'énorme manne financière est versée dans les circuits occultes de la corruption, il ne faut jurer de rien. A moins d'une vigilance à toute épreuve.
Said Chekri
(*) Cet article est également disponible sur le site du RCD

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