mardi 13 mai 2008

Le carton rouge et le feu vert (*)

Si, dès l’indépendance de l’Algérie, on avait consacré la démocratie, le pluralisme et l’alternance au pouvoir, on aurait fait l’économie de tant de violences. A commencer par celle que le régime avait opposée au combat, pourtant pacifique, initié dans la rue au printemps 1980. De n’avoir pas entendu l’appel de ce Printemps-là aura valu au pays le bain de sang d’octobre 1988. Au moins.
Si, en 1989, l’on avait mesuré le danger qu’il y avait à légaliser une nébuleuse fasciste en lui accordant le statut de parti politique dans le but avéré d’en faire un contrepoids aux démocrates, on n’aurait pas été contraint à arrêter un processus électoral, on n’aurait pas vécu le terrorisme des années 90 et l’Algérie ne serait pas devenue, dans les années 2000, un « pays d’accueil » pour Al-Qaida et un territoire hostile aux yeux des touristes et des investisseurs étrangers.
Si l’on avait su gérer les suites du coup d’arrêt de janvier 1992 en privilégiant l’idéal républicain qui, nous disait-on, l’avait inspiré, Boudiaf n’aurait pas été assassiné…Et si, et si…
L’Histoire de l’Algérie indépendante ressemble à celle de tant d’autres pays: c’est dans nos opulences du présent que sont semées les graines de nos famines à venir et c’est dans nos béatitudes du présent que se mettent en place, une à une, aidées par nos « inadvertances calculées » et nos ambitions futiles, les causes des bains de sang futurs.
Un jour viendra sans doute où sera dressé le bilan de ces entêtements répétés et jamais corrigés du régime et de ses clientèles. On leur donnera alors les noms qu’ils auront mérités : «forfaitures» ou encore «trahisons». Certainement pas «erreurs ».
Pour autant, le temps des «forfaitures» ou des «trahisons» n’est pas forcément derrière nous. Cette excitation autour de la révision de la Constitution et cette agitation autour de la succession à Bouteflika indiquent bien qu’il se prépare peut-être une nouvelle trahison et encore une forfaiture.
La trahison ? Elle consisterait à assurer Bouteflika de son maintien au pouvoir, via un amendement de la Constitution à la Syrienne. Faire fi du principe de l’alternance pacifique au pouvoir à présent que le baril de pétrole taquine les 120 dollars, cela peut tenter, mais cela reviendrait à préparer le carburant des violences de demain. Car, cette règle s’imposant désormais comme une exigence de notre époque, l’Algérie devra forcément y souscrire de nouveau si d’aventure on la sacrifiait aujourd’hui au nom des ambitions d’un clan. Le risque est grand que cela passe par l’affrontement violent.
La forfaiture ? Elle consisterait à faire «respecter la Constitution » afin de « débarquer » Bouteflika en toute légalité mais uniquement à cette fin. La suite ? La cooptation d’un successeur par les procédés traditionnels. C’est à ce second scénario que semblent appeler certaines voix. «A défaut de mieux », laissent-elles entendre toutefois, comme pour justifier leur choix qu’elles savent paradoxal tant ces mêmes voix s’élèvent aussi pour réclamer la fin du système. Paradoxal, en effet, car quand elles ajoutent que la mise à mort du système passe par le rejet de « ses élections », n’offrent-elles pas aux faiseurs de rois, sans doute par « inadvertance calculée », la latitude d’ « élire » un chef de l’Etat qui garantisse au système survie et pérennité ? Et lorsque ces voix affirment presque sans fard que l’Armée devrait exercer le pouvoir de débarquer éventuellement des présidents, ignorent-elles qu’un tel pouvoir implique qu’elle peut aussi en nommer par le recours à la cooptation via la fraude électorale? Dès lors qu’elle est priée de brandir le « carton rouge » à la face d’un président, l’Armée est qualifiée, de facto, à donner « le feu vert » au successeur qu’elle aura choisi ou, tout au moins, couvert de son onction. A l’exclusion de tout autre prétendant, quand bien même celui-ci aurait les faveurs du suffrage populaire. L’on est déjà loin du « respect de la Constitution », me semble-t-il. Encore une « inadvertance calculée » ? Sans doute.
Car enfin, c’est bien la fraude électorale et non les élections que la continuité du système requiert. Or, cela s’est vérifié en 2004, en 1999 et bien avant, le boycott, en rendant plus facile le bourrage des urnes, sert le système et ses hommes plutôt que leurs adversaires.
Alors oui, il faut rêver d’élections sans trucage et y œuvrer. Car, tout compte fait, quel sens ou quelle viabilité peut-on accorder à une alternance au pouvoir qui s’organiserait sans le respect de cet autre pilier de la démocratie, le suffrage universel ?
Oui, il faut rêver d’élections libres car bien des peuples, longuement captifs de systèmes politiques bâtis sur le triptyque fraude, répression, corruption s’en sont affranchis par la transparence des urnes.
Said Chekri
(*) Cet article a déjà été publié sur le site du RCD

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