mardi 13 mai 2008

Presse:désillusion des professionnels et illusion du pouvoir (*)

Il y a cinq jours(*), les journalistes algériens célébraient, à leur manière, la date du 3 mai, consacrée "journée mondiale de la liberté de la presse". A leur manière, en effet, car ils auront été les seuls de par le monde à avoir réduit leur programme d'activités ce jour là à l'organisation d'un ...tournoi de football. Il y eut certes une ou deux parodies de colloques et de conférences mais point d'engouement chez les professionnels. Si bien que c'est le tournoi de foot qui, au final, aura suscité le plus grand intérêt au sein de la plupart des journaux et qui aura donc marqué cette célébration de son empreinte. Pour la première fois depuis 1990, les actions d'initiative gouvernementale, notamment celles du département de la Communication, auront largement pris le pas sur celles des rédactions, du SNJ ou encore de la représentation de la FIJ. Ahmed Ouyahia lui-même, l'artisan en 2001 des amendements du Code pénal spécialement conçus pour étouffer toute velléité de libre écriture, s'est découvert, l'espace d'une journée, "grand défenseur" de la liberté de la presse, affirmant que la dépénalisation du délit de presse est inéluctable. Le même Ouyahia, jusque-là absolument et ouvertement réfractaire à toute idée d'ouverture de l'audiovisuel à la finance privée a juré que cela est tout aussi inéluctable . Ce 3 mai, les fossoyeurs de la liberté de la presse en Algérie auront eu la part belle. Face à eux, le vide. Quelquefois même de la complaisance, voire de la complicité, il faut bien le dire. Comment donc en est-on arrivé là? Depuis 2003/2004, le pouvoir a redoublé de férocité contre une corporation qui, bientôt, cessera de résister. C'est alors qu'on découvrit des faiblesses intrinsèques jusque là insoupçonnées. Des faiblesses qui vont mettre à nu leur corrolaire, cette incroyable prédisposition au reniement pur et simple lorsque s'imposaient, il faut l'admettre, des remises en question, sans plus. C'est à dire des révisions qui, si elles peuvent être quelquefois douloureuses, ne doivent pas s'accompagner de l'abandon de la vocation même de la presse, le droit d'informer sur la gestion de la cité ou encore de soumettre les politiques gouvernementales et l'action publique à l'éclairage et à la critique. Il n'aura donc pas fallu bien longtemps au pouvoir pour arriver à ses fins. Le second mandat de Bouteflika était à peine entamé que le paysage médiatique offrait déjà une allure défaite. Renoncement au ton critique, accompagné si nécessaire de remaniements internes, abandon de lignes éditoriales qui n'agréent pas les puissants du moment, généralisation de l'autocensure, marginalisation ou retrait des plumes génantes et, bien sûr, émergence de la médiocrité et éclosion d'opportunismes ravageurs. Le tout sur fond de désillusion. Voilà le fardeau porté aujourd'hui par la presse algérienne. Inutile de dire qu'il est trop lourd pour qu'elle puisse avancer. Pis, elle est ainsi condamnée à la régression permanente. Significative est d'ailleurs l'attitude bizarrement conciliante, "attendrissante" pour reprendre l'expression d'un confère, que le pouvoir se surprend à observer à l'égard de la corporation. C'est que ce pouvoir a compris qu'il ne convient pas d'utiliser un éléphant pour écraser une fourmi, comme le dit l'adage. Mais il a surtout compris qu'il est temps de concevoir de nouvelles relations avec la presse. Mieux, de concevoir la presse même. De la logique de répression et de pression contre la liberté de la presse on passe ainsi à la logique de rétribution et de prime à la complaisance. Le plus souvent par la manne publicitaire gérée par l'ANEP dont bénéficient désormais des journaux qui en étaient privés pendant 15 ans. Mais pas seulement cette manne-là. C'est à cette nouvelle logique qu'on doit aussi la multiplication, depuis quelque temps, de ces "embryons de groupe de presse" qui se mettent en place dans un pays où, en général, il est quasiment impossible d'obtenir un agrément pour lancer la moindre publication. De là à parier que les futurs médias audiovisuels seront "affectés" à ces mêmes groupes de presse, avec les gains financiers substantiels qu'ils ne manqueront pas de drainer, il n'y a qu'un pas que beaucoup parmi les observateurs ont déjà franchi. Le pouvoir, pour sa part, en tirera un double avantage. Primo: il mettra ainsi fin aux pressions politiques et commerciales émanant de l'extérieur du pays, notamment de l'UE et de l'OMC, quant à l'ouverture du secteur de l'audiovisuel. Deuxio: le contrôle politique des contenus que diffuseront les futures télés et radios privées sera assuré par des alliés qui auront déjà fait la preuve de leur "loyauté" dans la presse écrite. Mais on n'en est pas encore là. Car avant cela, la presse telle que reconfigurée est d'abord attendue quant aux missions qui lui sont assignées par qui de droit dans la perspective d'échéances plus proches, dont celle de 2009. Mais il semble que les "nouvelles missions" dont elle est chargée sont trop lourdes pour une presse qui a, chemin faisant, renoncé à préserver ce qu'elle avait d'essentiel, de vital: sa crédibilité. Peine perdue donc pour un pouvoir qui croit s'en sortir, suprême illusion, en transformant les titres de la presse écrite en autant d'ENTV. Pour autant, et on l'aura vérifié à l'occasion de la célébration algérienne de ce 3 mai, la régression a déjà si gravement délabré la corporation qu'il ne sera pas aisé de faire regagner à la presse nationale la place et l'aura qui étaient les siennes dans le monde arabe et en Afrique, il n'y a pas si longtemps. Encore plus ardues seront la bataille de la crédibilité et, partant, celle de la confiance du citoyen-lecteur qu'il va falloir reconquérir à nouveau.

Said Chekri
(*) Cet article a été publié le jeudi 8 mai 2008 sur le site du RCD

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